Le coup de coeur littéraire de Murielle : "Veiller sur elle" de Jean-Baptiste Andréa (prix Goncourt 2023)
(re)découvrir « Veiller sur elle. »
Après "Perspective(s)" de Laurent Binet (NDLR : article à retrouver ici), Murielle Navarro nous livre son dernier coup de cœur littéraire, le prix Goncourt 2023 : "Veiller sur elle" de Jean-Baptiste Andréa.
On dirait que mes choix littéraires me portent inconsciemment sur des fictions artistiques.
Après le polar très « Renaissance » de Laurent Binet, j’ai plongé avec délice dans la lecture du dernier prix Goncourt, où un autre Michelangelo m’attendait. « Veiller sur elle » », nous retrace le destin mouvementé de Mimo VITALIANI, sculpteur ambitieux aux origines modestes, qui croise celui de Viola, brillante jeune fille fantasque, issue de la riche aristocratie italienne. Ce récit commence par la fin…
Au soir de sa vie, (nous sommes en 1986) Michelangelo alias Mimo va rendre son dernier soupir, mais avant de mourir, il se souvient, fiévreusement, de sa fidèle amie et jumelle cosmique Viola ORSINI. Malgré leurs différences culturelles et sociales, ils se rencontrent par hasard, à l’âge de 13 ans et partageront diverses aventures et mésaventures, sans vraiment s’éloigner l’un de l’autre. Leur amitié amoureuse ne sera pas un long fleuve tranquille ; elle se rythmera par des hauts et des bas, des brouilles et embrouilles, avec des retrouvailles parfois pimentées, mais toujours émouvantes, comme pour mieux s’apprivoiser. Nous nous laissons porter avec eux, par le courant tumultueux de cette histoire romanesque, à l’écriture fluide et captivante. La rebelle Viola va se proposer d’instruire Mimo avec des livres de la bibliothèque familiale, et l’initie à l’art, en lui faisant découvrir, par exemple, la lumineuse Annonciation de Fra Angelico. Le roman traverse alors plusieurs époques tourmentées, depuis le chaos de la Première Guerre mondiale jusqu’à la montée insidieuse et fracassante du fascisme, pour s’achever à la fin du 20ᵉ siècle en Italie. Le contexte historique, mais aussi religieux de ce récit, sert de toile de fond à l’Histoire de l’art, puisque notre héros, en dépit de son achondroplasie, est devenu, entre-temps, un génie géant de la sculpture. Difficile, en ces périodes troubles de dictature mussolinienne, de concilier d’ailleurs, ambition artistique et idéaux politiques, face au pouvoir totalitaire en place.
L’autre héroïne de cette bouleversante fiction, a pris la forme d’une piéta à la beauté surnaturelle, sensuelle et fascinante, dérangeante et énigmatique dans son inquiétante étrangeté, qui fait tomber en pamoison tous ceux qui l’approchent des yeux.
Pour la soustraire aux regards curieux, le Vatican a décidé de l’abriter dans le sous-sol sécurisé de l’abbaye, où MIMO veille sur elle. Comme si sa grande œuvre, cette ultime sculpture de l’artiste, était frappée du sceau du blasphème et dont lui seul, son créateur, pouvait nous en (dé)livrer son secret.
Jean-Baptiste Andrea a taillé ainsi dans la pierre de son livre, avec grâce et délicatesse, deux personnages lunaires, où se mêlent les craquelures d’une vie accidentée, qui loin d’être lisse, mais enveloppée de ses aspérités nécessaires, nous invite alors à contempler une sublime sculpture « non finito ». L’auteur interroge, avec pudeur, cet envoutant et éternel mystère de la création artistique, qui suggère une subtile corrélation avec le modèle choisi.
Et pour conclure, peut-être un peu abruptement, tel un sculpteur devant un bloc de roche à dégrossir, j’oserai une formule un peu facile : et son œuvre ne nous laisse pas de marbre.
Murielle Navarro
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